Le Shen-1

La notion de Shen dans la culture chinoise.

Le Shen

Shen et Esprit

L’idéogramme Shen est généralement traduit par Esprit.

Comme le Jing et le Qi, le Shen fait partie d’un ensemble nommé les Trois Trésors, concept d’une grande importance dans la culture chinoise traditionnelle et sur lequel nous reviendrons.

Cet article développe la notion de Shen : Jing et Qi ayant été abordés dans de précédents articles. 

Le terme est complexe à définir.
Sa graphie, 神, composée de deux idéogrammes, désigne pour celui de gauche la manifestation sur terre des esprits célestes ou les influences reçues du Ciel et pour celui de droite, le déploiement, l’expansion

Anciennement, il désignait aussi l’action des Ancêtres sur terre et leur influence sur leurs descendants. L’esprit des ancêtres étant supposé résider au Ciel.
Cet idéogramme désigne la manifestation spirituelle qui par nature en expansion, s’étend et met en relation l’homme et le monde.

Le chamanisme ancien, le taoïsme, la médecine chinoise ancienne et les pratiques méditatives utilisent ce terme mais avec des approches différentes.
A cela, il convient de rajouter l’éclairage de la Médecine Traditionnelle Chinoise contemporaine ainsi que certains courants modernes du taoïsme pour constater que la notion d’esprit est très vaste et recouvre des réalités différentes qui varient en fonction des environnements et des époques.

Par convention, on utilisera le mot Esprit avec une majuscule lorsqu’il réfère à la dimension spirituelle et donc à ce que les Chinois nomment Yuan Shen, ou Esprit Originel et esprit avec une minuscule lorsqu’on fait référence à l’esprit individuel.

Shen et chamanisme ancien

Initialement, dans le chamanisme ancien, le Shen réfère aux esprits peuplant le Ciel et la Terre. Chacun sous sa forme spécifique est considéré comme une émanation de l’Esprit Originel.
Les Shen célestes peuplent ainsi la nature, les cascades, les arbres, la foudre et divers lieux particuliers. Ils sont toujours associés à un pouvoir, et à une forme de perfection, puisque célestes. 

Au fil du temps, la tradition populaire les a multipliés et en conséquence, il existe quasiment un esprit pour chaque chose, activité ou métier. Il existe par exemple un esprit du mariage, de la richesse, un autre pour les femmes en couches un autre encore pour les lettrés…
Un peu comme les saints de la tradition catholique, censés protéger telle ou telle activité comme Saint Christophe pour les voyageurs, Saint Luc pour les médecins, Saint Urbain pour les ivrognes …

Pour le chamanisme, les esprits célestes descendent dans l’homme à l’instant de sa conception biologique et donc à l’instant de la rencontre entre les Jing parentaux. Ces Shen, ou esprits, sont conçus comme fondements de l’esprit humain et de la conscience qui l’accompagne. Différents esprits assurent différentes fonctions : certains gèrent la relation entre le corps et l’esprit d’autres assurent la mise en mouvement de l’esprit vers le spirituel etc… Ces derniers, traditionnellement au nombre de trois, sont la présence en l’humain d’une tendance latente vers le subtil. Ils le poussent à orienter son existence vers une proximité grandissante avec l’Esprit Originel. D’après le chamanisme, ce sont ceux-là même qui permettent à l’esprit de l’initié de voyager à sa guise dans l’univers en s’affranchissant de toutes contraintes matérielles. 

Shen et alchimie taoïste 

L’alchimie taoïste recouvre de nombreuses pratiques qui se sont développées au fil des siècles voire des millénaires.
Leur point commun est la recherche de l’éveil spirituel, la plupart du temps associée à une expérience qui fusionne l’esprit du pratiquant avec l’Esprit Originel. 

–       L’alchimie opératoire

A une extrémité on trouve l’alchimie opératoire qui cherche l’éveil de l’esprit voire l’immortalité physique en se fondant sur des pratiques proches de la chimie. Elle se base sur la manipulation, la modification et l’ingestion de produits tels que le cinabre, le mercure, le plomb, l’or etc… Cette pratique est à l’origine de nombreuses découvertes qui transformeront le monde, notamment celle de la poudre à canon…  Elle tuera aussi beaucoup d’adeptes par empoisonnement.

L’histoire fait état de quelques empereurs ayant rejoint prématurément leurs ancêtres pour avoir suivi assidument les conseils de leur alchimiste personnel. La majorité de ces courants considère que la purification extrême de certains produits puis leur ingestion est susceptible de libérer l’esprit de son support physique.

Les gestes inlassablement répétés dans le cadre de ces pratiques de purification demandent une très grande concentration d’esprit et participent aussi à l’état interne nécessaire à cette démarche spirituelle.
Il semble qu’avec l’Inde, la Chine ait développé une des plus anciennes alchimies au monde (2° siècle av. notre ère).
En occident, elle donnera naissance aux bases de la chimie moderne.

–       L’alchimie interne

A l’autre extrémité, on trouve des pratiques dont le but est sensiblement le même mais qui se fondent sur l’énergie (Qi) et ses diverses transformations afin d’atteindre l’éveil spirituel. Les matériaux de base ne sont plus cette fois le cinabre, le mercure etc… mais les énergies du pratiquant ainsi que son shen c’est à dire son esprit. D’où l’appellation de pratiques Internes. Dans les deux cas, c’est de la fusion de l’esprit individuel avec l’Esprit originel dont il est question.
Plusieurs courants de l’alchimie interne utilisent régulièrement des plantes en décoctions et onguents spéciaux pour soutenir leur démarche spirituelle. Quelques étapes ne pouvant être franchies qu’avec le soutien de la pharmacopée.
On retrouve quelques-unes de ces pratiques dans certains courants liés au Tch’an (ancêtre du Zen).
Au fil des siècles, les pratiques alchimiques internes ont supplanté l’alchimie externe, les résultats de cette dernière s’étant révélés peu convaincants et souvent dangereux. L’alchimie externe a progressivement évolué vers des pratiques méditatives, fondées pour la plupart sur des connaissances énergétiques issues de la médecine ancienne. Le but restant bien sûr le même.
De nombreux courants de l’alchimie taoïste interne considèrent que l’Esprit originel est présent en l’homme et qu’il est reçu à l’instant de la conception. Yuan Shen (Esprit originel) serait transmis en même temps que les Jing parentaux. L’esprit est alors envisagé sous deux angles différents. Il y a tout d’abord l’Esprit originel, sans limites, ni description possible et au-delà de toute représentation. Puis, ce même esprit, qui une fois associé à la forme vivante qui lui sert de support, devient un esprit conditionné, limité. Cette limitation et ce conditionnement découlent des contraintes physiques et physiologiques ainsi que des contraintes sensorielles. Le but que se fixe l’alchimie interne est de déconditionner l’Esprit originel et permettre au pratiquant d’en faire la pleine expérience. 
Celle-ci est communément appelée « Retour à l’origine ». 


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Jean Pierre

Cayrol Jean Pierre

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